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Afrique 50

Synopsis

Au départ, ce film était une simple commande de la Ligue de l’enseignement, destinée à mettre en valeur la mission éducative de la France dans ses colonies et à destination des lycéens et collégiens de France. Il devait s’appeler La Vie du paysannat africain.
Frais émoulu de l’IDHEC, René Vautier s’embarque pour la Côte d’Ivoire où, dans le port d’Abidjan, un ingénieur (blanc) lui explique cyniquement qu’il est moins cher de faire travailler des "nègres" que d’électrifier le barrage que de pauvres ivoiriens s’échinaient à faire marcher. Il décide de témoigner d’une réalité non commandée. Ce sera le choc et son film sera le premier film anticolonialiste français.
Le film sera censuré en France pendant plus de quarante ans.

Thèmes : Colonisation , Cycle Vautier

Réalisateur(s) : Vautier, René

Pays de production : France

Type : Court métrage

Genre : Documentaire

Scénario, Image, Montage : René Vautier

Son : Antoine Bonfanti

Musique : Keita Fodela

Production : Ligue française de l’enseignement, René Vautier

Distribution : Cinémathèque de Bretagne, Vidéothèque de l’EHESS.
Contact : claude.arnal@cinematheque-bretagne.fr - Tél : 02 98 43 53 55


Article hommage

(Par Franz B)

Extrait

Rendre justice au film, c’est faire que l’exemplarité de René Vautier (alors âgé de 23 ans quand il entreprend les préparatifs de tournage) soit jugée concrètement, à l’aune même de Afrique 50. A l’endroit où une praxis de cinéma déploie la puissance politique de son esthétique. A ce titre, les premières minutes de Afrique 50 ramassent et concentrent admirablement une intelligence et une sensibilité dont feraient bien de s’inspirer tous ceux qui, pressés de faire des films ou tenir des discours pour se faire bien comprendre de leurs spectateurs ou auditeurs, ne disent rien du faisceau de déterminations circonscrivant la particularité de leur position.

« D’où parles tu ? » était ainsi une question fréquemment posée dans les milieux gauchistes des années 1970 lorsqu’il s’agissait de localiser l’espace social à partir duquel juger la légitimité d’un discours politique. Mieux donc que de foncer tête baissée dans un didactisme réduisant l’hétérogénéité du matériau filmé sur le seul et abstrait registre de l’illustration discursive, René Vautier s’interroge d’emblée, concrètement, sur sa propre situation d’homme blanc venu de métropole pour filmer les paysans d’un village africain. En se substituant à l’acteur qui devait originalement lire le texte de la voix-off, le cinéaste en vient logiquement à questionner les conditions de fabrication même de son propre film, s’imposant d’exprimer à l’adresse du spectateur en quoi sa démarche s’est distinguée du point de vue des personnes filmées.

La structure narrative de cette voix-off, l’exposition de la méthode de filmage, la position même de la caméra ainsi que le recours discursif à l’analogie s’affirment d’emblée comme quatre manières de rupture symbolique avec l’ordre colonial qui prédisposait autant le filmeur que les filmés à reproduire les formes relationnelles de la domination.

Déjà, l’adresse au spectateur (tutoyé par le réalisateur-narrateur) attesterait d’une proximité qui voudrait doubler la connivence structurelle des individus relevant à leurs corps défendant du camp colonial des dominants par le tutoiement en vigueur dans le monde social des militants de gauche. S’adressant à nous comme il s’adresserait à de possibles camarades (la promesse généreuse de cette camaraderie touche encore plus aujourd’hui, plus de soixante ans après la réalisation du film, surtout plus de vingt ans après la disparition du bloc soviétique auquel s’identifiait alors le jeune militant communiste), René Vautier explique donc qu’il devra nécessairement établir un mode relationnel avec les personnes filmées en radicale distinction de l’ordre colonial exemplifié par la figure autoritaire de l’administrateur. Autrement dit, filmer l’autre requiert une autorisation symbolique que ce dernier délivre à celui qui, voulant le filmer, la sollicite afin de faire valoir en quoi la sollicitation d’une autorisation, aussi symbolique fût-elle, atteste d’un écart significatif avec un rapport de domination qui, en toute brutalité, ne s’autorise de rien sauf de lui-même.

Se faire accepter pour René Vautier des filmés, c’est donc convenir ensemble que la relation de filmage promet de ne pas reproduire le rapport de domination colonial qui, avant toute chose, prédéterminent toute possibilité de relation. Le jeu enfantin des langues roulant sur les lèvres manifeste alors symboliquement l’accord conclu dans le dos des autorités coloniales. Le filmage, en s’affirmant ainsi et à la fois comme relation symétrique entre le filmeur et les filmés et, corrélativement, comme rupture réelle (aussi modeste fût-elle) avec l’asymétrie réglant la norme de l’ordre colonial, engage au nom de l’égalité un renversement symbolique des positions habituelles du corps des dominants comme des dominés. Il faudra donc que le filmeur filme à genou les enfants qui, bien plus que l’administrateur colonial, l’autorisent à entrer dans leur village afin que l’homme issu malgré lui du camp de la domination exprime son humilité devant les personnes filmées. Comme il s’est agi dans le même mouvement de restituer à celles-ci une dignité constamment déniée par une idéologie soucieuse d’enfermer les colonisés dans un statut de mineurs politiques.

Commencer Afrique 50 à la condition d’en passer d’abord par des enfants, puis les filmer en contre-plongée comme le ferait John Ford filmant dans un western John Wayne, enfin les désigner en disant d’eux qu’ils sont comme des « sages » et des « philosophes » représentent ainsi les trois opérateurs cinématographiques privilégiés avec lesquels René Vautier livre moins son message anticolonialiste qu’il ouvre un rapport au monde réellement en rupture avec le fait colonial.

Pour la première fois, l’Afrique nous regarde