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Hassan terro

Synopsis

Alors qu’il tente par tous les moyens de rester en dehors des bouleversements sanglants provoqués par la bataille d’Alger, Hassan, père de famille intègre et naïf, accepte d’offrir, sans le savoir, l’hospitalité à un moudjahid activement recherché par l’armée Française.
Une série d’évènements et de quiproquos le catapultent très vite au devant de la scène, le présentant sous le pseudonyme de “Hassan Terro”, un grand terroriste fictif qui aurait juré la perte de l’armée française…

Thèmes : Alger, ville cinématographique , Guerre d’indépendance algérienne

Réalisateur(s) : Lakhdar Hamina, Mohamed

Pays de production : Algérie

Type : Long métrage

Genre : Fiction

Edition du festival : Maghreb des Films automne 2014

Année 1968 90’ 

Image Smaïl Lakhdar Hamina, Abdelkader Bouziane, Selim Fares

Son Abdelhamid Oulmi

Production Office des actualitès algériennes

Distribution Screen Production Inc.

Avec Ahmed Rouiched, Hassan El-Hassani, Keltoum, Mustapha Kateb, , Sid-Ali Kouiret etc…

“Hassan Terro” occupe une place importante dans le cinéma algérien, à la fois comme énorme succès populaire (même ceux qui ne l’ont pas vu en ont sans doute déjà entendu parler) et critique (il est considéré comme l’un des meilleurs algériens jamais réalisés). Il n’est pas inutile de rappeler qu’à l’origine, il s’agissait d’une pièce théâtrale écrite et interprétée par Rouiched en 1963, créée dans le cadre du théâtre national algérien et mise en scène par son directeur d’alors Mustapha Kateb (qui a fait également l’acteur, y compris dans “Hassan Terro”). Fort du succès rencontré auprès du public algérien, c’est le plus naturellement du monde que, quelques années plus tard, la pièce est adaptée au cinéma, pour passer d’œuvre populaire à véritable fierté nationale.

Le film est tourné en 1968, année qui voit se lever dans le monde les voix de la protestation et de la liberté sous la bannière d’un socialisme se voulant à la fois moteur du monde et pourfendeur du conservatisme bien pensant (en France, aux états-unis, dans les pays de l’est etc…). En Algérie, jeune république qui entre dans sa quatrième année, les enjeux sont nettement différents : il s’agit avant tout de mettre les choses à plat, de revenir sur cette guerre qui a fait plus d’un million et demi de martyrs selon la formule gouvernementale consacrée, et faire connaître au peuple les heures tourmentées vécues par ses libérateurs. Deux chois s’imposent alors aux jeunes réalisateurs ayant pour certains (comme c’est le cas de Ahmed Rachedi) participé à la vie dans les maquis : utiliser les armes d’un réalisme à moitié gâché par une surenchère de moyens et des scénarios aux vagues allures propagandistes - citons rapidement Le vent des Aurès en 1966 ou L’Opium et le Bâton en 1969 - ou faire passer la pilule en recourant à un humour aussi libre que dévastateur - comme c’est le cas pour “Hassan Terro”. Un peu à part dans cette classification, on retrouve l’un des plus grands films de guerre de tous les temps : La bataille d’Alger (Gilles Pentecorvo, 1967), qui avait de manière bluffante reconstitué à la perfection les sombres années du “terrorisme urbain” qui avait donné bien du fil à retordre à l’armée française entre 56 et 58 dans la capitale algérienne. Tourné en noir et blanc, caméra à l’épaule, utilisant des cadrages et un montage très proche du documentaire, le film est d’une puissance qui jusqu’à aujourd’hui semble relever de l’impossible, tant la sensation de vérité est présente dans chaque plan, dans un souffle et une maestria technique rarement égalée depuis.

Étrangement, on peut considérer que “Hassan Terro” est le pendant comique de La bataille d’Alger, puisque comme ce dernier, le film de Hamina se déroule pendant la bataille d’Alger, lors de la grève des 7 jours décrétée par le FLN dans la capitale afin de mobiliser le peuple musulman à sa cause. Cette grève avait rallumé le feu aux poudres entre combattants algériens et français, que la guerre mettait aux prises depuis deux ans déjà. Son traitement noir et blanc, ses extérieurs tournés comme un documentaire, et ce style hérité du néo-réalisme italien et du cinéma politique et social qui envahissait alors les salles obscurs européennes et américaines est, semble-t-il, directement inspiré du film de Pentecorvo, reniant du même coup le style pompeux des productions à venir et s’en éloignant par une réelle réflexion sur la position de l’individu lambda au sein du mouvement révolutionnaire.

Car ici, pas de glorification intempestive (ou si peu) des martyrs, ni manichéisme trop ronflant. Les scénaristes, avec le personnage de Hassan, sont même allés encore plus loin en présentant le héros joué par Rouiched (déjà très populaire à l’époque à travers ses prestations théâtrales) comme un poltron ne voulant en aucun cas entendre parler de guerre et de violence, plus préoccupé par sa vie et la sécurité de sa famille, que par l’esprit révolutionnaire promulgué par ses coreligionnaires, même s’il est parfaitement conscient des enjeux de la guerre de libération. Cette position est pour moi des plus risqués mais en même temps des plus véridiques, car l’on s’imagine sans mal qu’à l’époque de la bataille d’alger, et surtout à partir de 1957 - année où se déroule l’action du fillm - certains algériens aient été sceptiques ou mêmes désemparés face au choix qu’ils devaient faire : fallait-il intégrer ceux que l’état français nommaient les “terroristes” (car les attentas des gars du FLN dans Alger ont tout de même fait pas mal de victimes parmi les civils) et risquer de perdre une guerre qui - même si elle est des plus légitimes - ne tournait pas vraiment à l’avantage des algériens, ou fallait-il lutter contre son propre peuple, et pactiser avec un colonisateur (la France) qui depuis longtemps n’octroyait aucun droit aux “indigènes”, comme elle appelait les musulmans algériens d’alors ? Vaste question, qu’un autre aurait tranché à grands coups de discours patriotiques, mais qui dans la réalité, est bien plus complexe. Il est en effet facile, aujourd’hui, avec le recul, de condamner ceux qui ont refusé de participer à cette guerre sans pour autant intégrer les rangs ennemis, tout comme il est facile en France de refuser de comprendre les motivations de ceux qui n’ont pas intégré la résistance lors de la seconde guerre mondiale. C’est pourtant faire preuve d’une grande malhonnêteté, car qui nous prouve que nous aurions fait mieux que ces gens ? En ces temps de “paix” que nous vivons, bien malin qui pourra répondre à ça.

Ainsi, même si on a rarement mis le doigt sur ce point, Hassan Terro est avant tout un film contant le désemparement d’un homme face à une guerre dans laquelle il faut forcément prendre parti. D’un simple citoyen dont la sympathie va certes aux combattants algériens, mais qui n’a ni l’étoffe d’un héros, ni les capacités d’un combattant, et dont le refus d’aider activement à l’indépendance de l’Algérie ne le classe pas non plus forcément dans le rang des traîtres, contrairement à ce qu’on nous a fait croire et ce qu’on a décrété par la suite. Ceux qui ont vécu la seconde guerre mondiale, la lutte des républicains anti-franquiste ou l’édification de la RDA, savent combien il est difficile de reconnaître le bon du mauvais camp, essentiellement lorsque l’on a aucune connaissance politique et idéologique de ces conflits. Car dans une guerre, tout est relatif, et sans le recul de l’Histoire, il est difficile sur le moment de comprendre pleinement les tenants et aboutissants de la confrontation, tout comme il est compliqué, dans la confusion générale, de distinguer un “terroriste” d’un “combattant de la liberté”. Ainsi, le premier peut se confondre avec le second, et on utilise alors l’un ou l’autre terme selon que l’on est dans un camp ou dans l’autre.Simple question de point vue. Cet état de fait ne remet évidemment pas en cause la légitimité du combat des peuples pour leur liberté, mais il est intéressant de méditer par exemple sur le cas des FARC colombiens, qui peuvent être, au choix, des terroristes sans foi ni loi, ou de braves combattants luttant contre un gouvernement qu’ils ne reconnaissent pas.

Peut-être n’était-ce pas l’intention première du réalisateur (que je n’ai jamais eu la chance d’approcher) mais il semble bien que “Hassan Terro” se pose en défenseur du principe d’incertitude lorsqu’il s’agit de choisir un camp, et plus simplement, celui de se livrer ou non à une bataille qui, certes, va dans le sens de ce qui est juste, mais qui dans le contexte alambiquée d’une guerre, devient difficile à cerner complètement. Et Hassan, dans sa parfaite condition de père de famille sans histoire, nullement préparé à prendre les armes, représente à cent pour cent l’algérien sans culture révolutionnaire, habitué par un colonisateur refusant toute assimilation à ne plus réfléchir à sa condition d’opprimé, et, surtout, à avoir peur.

Car Hassan a peur. De tout. Des français, des gens du FLN, de la perte de son emploi à cause de la grève de 57, et de bien d’autres choses qu’un film d’une heure trente ne saurait dévoiler à lui seul. Un personnage absolument sidérant de vérité, du moins dans sa fonction de “héros malgré lui” qui à la base ne désirait rien de plus que couler des jours paisibles entouré des siens. Pourtant on comprend dès le début du film qu’il n’est pas contre l’idée d’une guerre contre les français. L’une des premières scènes du film, où l’on voit un représentant du FLN débarquer chez Hassan pour lui demander d’héberger (sous de faux motifs) un combattant recherché, est, malgré son apparente futilité, essentielle pour comprendre rapidement la personnalité de Hassan. Ne laissant pas à l’homme le temps de s’expliquer, Hassan s’empresse de lui fourrer dans la main des billets de banque destinées aux frères d’armes coincés dans les maquis et les cachettes étroites des maisons maures de la casbah, avec l’empressement de celui qui ne veut pas être mêlé plus longtemps aux actions armées des siens, tout en prouvant par un apport financier sa participation à l’effort de guerre. Tout est dit dans cet acte : Hassan veut bien aider à la libération de son pays, mais à condition qu’on le laisse vivre en paix. Ou autrement dit, Hassan ne désire qu’une chose : garder sa vie d’avant tout en gardant la conscience tranquille. Un point de vue des plus subversif, même s’il sera atténué au fur et à mesure que l’on avance dans le film, et qui donne à Hassan Terro une dimension qui le place d’emblée au-delà de la simple comédie.

Amin Sidi-Boumédiène