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Maghreb des films 2014 : l’éditorial

« Il n’y a pas de choc des civilisations, il n’y a que lecoc des ignorances »
Tahar Ben Jelloun

Cette édition du Maghreb des Films
est dédiée à Abdelwahab Meddeb,
infatigable défenseur de la communauté
des hommes et des civilisations
et pourfendeur des extrémistes

« Le but de la perfection est la jeunesse » Oscar Wilde

C’est précisément la jeunesse dont le talent irrigue cette édition 2014 du MAGHREB DES FILMS.

Pas seulement la simple jeunesse arithmétique de l’âge.

Mais une autre jeunesse qui vient d’on ne sait où, sinon d’une éternelle volonté de changer le monde.

Un vent rafraîchissant se lève et caresse le cinéma venu des pays du Maghreb.

Un vent d’invention, de lucidité et de responsabilité.

Un vent qui ne se laisse pas dompter, mais qui sait, au besoin, être aimablement séducteur, pour se faire mieux sentir et entendre.
Un vent qui ne date pas d’hier.

Car, si les nouveaux arrivants affichent de neuves ambitions, c’est aussi en prolongeant celles de leurs prédécesseurs, pionniers d’un cinéma maghrébin moderne et indépendant.

La jeunesse au cinéma, s’est incarnée, de tout temps, entre révolte et dérision, une certaine anarchie diront d’aucuns… de l’insolence, sans aucun doute ; rejoignant bien sûr cette invective de Vigo à « éveiller d’autres échos que les rots de ces messieurs-dames qui viennent au cinéma pour digérer ».

Il en est ainsi d’une majorité des films de ce cru 2014.

Pas seulement des films qui viennent de s’achever, même s’ils sont ultra majoritaires, évidemment, mais aussi de trois ou quatre propositions de découvertes.

L’Histoire du cinéma, celle qui s’écrit en majuscules, compte autant de films célèbres que de petits chefs d’œuvre passés inaperçus.

« Hassan Terro » et « Etoile aux dents ou Poulou le magnifique » (le titre est déjà une promesse) sont de ceux-là.

Des « inaperçus ».

Le premier brocarde l’héroïsme malgré soi d’un algérois moyen, une sorte de « Bataille d’Alger » revue par l’inspecteur Clouseau.

Le second est un lent poème à Barbès, à son esthétique de métal et de pierre et à ses perspectives sans fin.

C’est une certitude, le cinéma que nous aimons ne peut être qu’accessoirement sérieux car nous en attendons davantage.

Une sorte de chahut est nécessaire et consubstantiel à l’art, c’est le sujet de « Zéro de conduite ».

Et les jeunes générations de filmeurs du monde entier, qui se sont succédé, l’ont compris et toujours réaffirmé, aux dépens des rentiers de l’image et du son.

Ils interpellent, ils agacent, ils ironisent, mais avec, bien souvent, une réussite de bricoleur de génie.

Nous croyons au nouveau souffle du cinéma algérien, poétique et irrévérencieux.

Il n’est qu’à voir « Loubia Hamra » (où, pour le coup, souffle bien l’esprit de Vigo), « Alger après », « Cinéma bidon » ou « La grande prison ».

Nous croyons au printemps et à l’automne du cinéma tunisien et à son « point de vue documenté », quasi compulsif, écho de trois années de « révolution »et d’espoir (encore Vigo).

Nous croyons à ce cinéma marocain qui, après s’être construit et structuré durablement, s’offre le luxe de faire vivre ses marges, dans des films d’un hédonisme décalé, tels « Le Veau d’or » ou « Mémoires anachroniques »(toujours Vigo)et/ou dans des courts métrages qui valent bien des longs, comme « Leur Nuit » ou « Sur la route du Paradis », ce dernier déjà vu au MDF.

Enfin, si la Libye manque encore cette année à l’appel, la Mauritanie, elle, s’offre une place de choix, avec l’un des plus grands films de 2014, d’une époustouflante beauté et d’une force émotionnelle ultime, au regard de ses enjeux, tant narratifs que « géopolitiques ».

« Timbuktu » est certainement quelque chose comme ce qu’on appelle parfois, certes un peu vite, un chef d’œuvre.

Vive le MAGHREB DES FILMS 2014 et vivent les cinéastes qui l’accompagnent, année après année !

Un automne tunisien

Le cinéma du réel en Tunisie : jeunesse en effervescence, redécouverte identitaire et libération de la mémoire.

Après Babylon et C’était mieux demain (2012), le cinéma du réel tunisien poursuit son printemps, avec un cinéma de l’urgence sociale, où les femmes et la jeunesse ont toute leur place. De qualité inégale, il tâche de rendre compte des problèmes d’un pays qui s’attarde dans la transition. Kaouther Ben Hania profite de cette période intense pour confirmer son talent : après Peau de colle, Le Challat de Tunis est un premier long-métrage tranchant et féroce. Hamza Ouni a quant à lui tiré parti de la libéralisation politique pour faire aboutir un projet maintes fois avorté : El Gort. Fils d’une banlieue délaissée, il a filmé pendant six ans le banal et terrible quotidien de deux de ses amis : primé à Abu Dhabi, Tunis et tout récemment encore à Leipzig, unanimement reconnu comme l’emblème des frustrations de la jeunesse tunisienne, le film aurait été une véritable bombe sous Ben Ali.

Mais le temps passé depuis la Révolution a fait également prendre une certaine ampleur à l’art et à la perception de la réalité de certains documentaristes reconnus : outre des expérimentations formelles, on note quelques retours sur des aspects méconnus de l’identité tunisienne, comme sa part africaine ou sa culture mystique. Ridha Tlili reste par exemple attaché à la culture populaire et politique de Sidi Bouzid, sa région de naissance et le berceau de la révolution, mais leste son dernier film (Controlling and Punishment, 2014) d’une profondeur théorique, esthétique, politique et historique encore plus poussée que dans ses précédents films (Teriague, 2009 ; Révolution moins cinq minutes ; Jiha, 2011...). Hichem Ben Ammar, infatigable promoteur du documentaire tunisien, a lui aussi utilisé ces années post-Révolution pour réactualiser son thème de toujours : la mémoire. Le contexte autorise en effet ce conservateur enthousiaste des traditions populaires les plus incongrues (Cafichanta, J’en ai vu des étoiles, O ! Capitaine des mers, Femmes dans un monde de foot, etc.) à ouvrir le dossier brûlant de la torture (Mémoire Noire, 2013), comme un encouragement à la mémoire et à la réconciliation nationale.