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Tahia ya Didou !

Synopsis

Mélange d’images d’archives et de scènes de fiction, le film est un hommage à la ville d’Alger, qui est à l’origine du projet. Au hasard des promenades et des rencontres, Simon et sa femme, un couple de touristes français, découvrent Alger. Simon reconnaît dans un bistrot un Algérien qu’il a autrefois torturé. L’homme le fixe. Pris de panique, Simon s’enfuit.

Thèmes : Alger, ville cinématographique , Guerre d’indépendance algérienne

Réalisateur(s) : Zinet, Mohamed

Pays de production : Algérie

Type : Long métrage

Genre : Fiction

Edition du festival : Maghreb des films juin juillet 2012 , Maghreb des films novembre 2010

Autre titre Alger Insolite !

Année : 1971

Durée : 76’

Scénario : Mohamed Zinet, Himoud Brahimi

Image : Ali Marok, Bruno Muel, Pierre Clément

Son : A. Oulmi

Musique : Mohamed El-Anka

Production : Mairie d’Alger

Distribution : Centre National du Cinéma et de l’Audiovisuel (CNCA) Algérie

Avec : Himoud Brahimi, Mohamed Zinet, Georges Arnaud, N. Drais, Suzie Nace

Le commentaire de Wassyla Tamzali
Publié en mai 2013 dans Le Quotidien d’Oran (ultérieurement dans les Temps Modernes), aux côtés de 6 autres commentaires (Yasmina de Lakhdar Amina, Noua d’Abdelaziz Tolbi, La Nouba des femmes du Mont Chenoua deAssia Djebar, Nahla de Farouk Beloufa, Inland de Tariq Tegia, Demande à ton ombre de Lamine Ammar-Khodja)

Tahia Ya Didou de Zinet, Le premier film urbain.
De quelle année est Tahia Didou ? L’année où il a été réalisé ou 1973 l’année où il a été pour la première fois montré à la Cinémathèque dans une projection privée ? Un film existe-il sans son public aussi clairsemé soit-il ?
La question mérite d’être posée tant nombreux sont les films réalisés et jamais distribués de part le monde. Avez vous remarquez la manière particulière d’un cinéaste qui parle de son film jamais montré ? Un air de deuil en quelque sorte. Ou de mystère. À toutes les raisons connues dans tous les pays s’ajoutent dans notre pays, mais pas uniquement chez nous, les films censurés sans être censurés. Les pratiques occultes autour des films sont multiples et jalonnent le Cinéma algérien écrivant ainsi de petits scénarios qui ne demanderaient qu’à être tournés. Ainsi pour les candidats, « Libération » de Farouk Beloufa. Produit par le ministère de l’information en 1972, qui furieux de voir que le réalisateur faisait le lien entre la Révolution d’Octobre et notre guerre de libération (l’insolent !), charcuta le film tant et si bien que Beloufa demanda qu’on enleva son nom. Le titre même fut changé en « La guerre de libération ». Voilà un film qui a changé de titre, qui n’a plus de réalisateur et qui pour dernier avatar à disparu de la circulation.
Nous avons eu plus de chance avec Tahia Ya Didou. Là aussi nous avons frôlé la disparition corps et âme d’un des meilleurs films du Cinéma Algérien. Ouf ! Il restera dans l’histoire de la Ville. Savez vous que les escaliers derrière la Place Emir Abdelkader sont appelés par les gens du quartier les escaliers Tahia Ya Didou en souvenir de cette scène d’anthologie charlinchapplinesque des enfants qui montent en courant, et qu’une des dernières salles de cinéma qui peut revendiquer cette qualification s’appelle Zinet ?
C’est l’administration de la Ville d’Alger qui avait commandé à Zinet ce film. Le tournage commença en 1969, se poursuivit en 1970. Quand les responsables de la ville virent le film ils le rangèrent au fond d’un tiroir avec le mépris pour les artistes, connue de l’administration, obtuse, autoritaire et très souvent inculte. Il faut reconnaître à leur décharge qu’il était difficile de faire de Tahia Ya Didou un dépliant touristique. Le réalisateur s’était laissé submerger par des souvenirs douloureux de la bataille d’Alger qu’il ne pouvait dissocier du petit peuple héroïque de la Casbah. La Cinémathèque batailla pour l’avoir. La Ville assez mercantile pour ça exigeait d’être payée en retour ignorant tout du statut de la Cinémathèque. - Langlois et la Cinémathèque Française piratait et envoyait les films à Alger gratuitement.
Tahia Ya Didou est un film précieux à notre mémoire, irremplaçable. Il filme un peuple (le petit peuple d’Alger comme on dit), une culture, il rend compte d’un langage, de mœurs, de gens, de lieux à jamais disparus. Où est la gouaille du petit peuple de la Casbah ? Ce petit peuple magnifié par la voix de Hadj El Anka, ce petit peuple courageux, frondeur, insolent qui nargue les projets mégalomanes de l’État socialiste aujourd’hui tous démantelés par le libéralisme sauvage, avec bon sens et intelligence. Ce petit peuple enfoui aujourd’hui sous des couches de bigoterie, de fausse religion quand il n’est pas terrorisé par la violence de ses enfants à qui on n’a laissé aucun espoir, voyous, waabistes et Salafistes de tous poils. Si, comme je le pense, le sujet principal du cinéma est le temps et la mémoire alors Tahia Ya Didou est un objet parfait de cinéma. Et de nostalgie.
Avant de le voir nous savions déjà que c’était un film précieux. Parce que c’était Zinet. À 9 ans Zinet était monté sur les planches, acteur il alla poussé par la Guerre d’Algérie à travers le monde, 1962 le trouvera en Scandinavie dans le rôle d’Amédée de Ionesco. En 1963 il présenta au public d’Alger sa pièce « Tibelkachoutine ». En 1964 il est assistant sur la Bataille d’Alger de Ponte Corvo. Il est aussi journaliste, humoriste, dessinateur mais ce qu’il y a de plus important pour le cinéma et pour nous dans les bagages du petit homme de la Casbah c’est la liberté. Cette liberté que nous ne connaissions pas nous les Enfants I de l’Algérie pétris par les Grandes causes nationales. Zinet vivait aussi difficile soit-elle sa liberté d’homme. Cette liberté fit de lui un paria dans la société de la Révolution nationaliste et socialiste, souterrainement islamiste. On le retrouva mort sur un trottoir, un matin gris à Paris. Il me disait, « Tous ceux que je rencontre veulent m’offrir à boire, personne ne m’offre à manger. » Quelle est triste la Révolution quand elle laisse mourir ses poètes, et qu’elle empêche ses femmes de danser !

Commentaires de Marion Pasquier
Tahia Ya Didou est l’unique film du comédien Mohammed Zinet. Né d’une commande de la ville d’Alger, qui attendait qu’il soit un documentaire touristique, il ne fut pas du goût des autorités et il n’y eut aucune sortie en salles. Devenu malgré tout un film culte, Tahia Ya Didou est bien plus qu’un documentaire promotionnel. Hommage à la ville d’Alger, à ses habitants, il est doté d’un ton inclassable, cohabitation de comique burlesque et de tragiques réminiscences du passé douloureux du pays.

Du marché au port, des rues aux cafés, la caméra de Mohammed Zinet déambule dans la ville dont elle capte le pouls. Variant les angles, les échelles de plans et les mouvements d’appareil, c’est avec fluidité qu’elle observe les Algérois, sur le visage desquels elle prend souvent le temps de s’attarder. Certains apparaissent plusieurs fois et deviennent ainsi personnages (une ribambelle d’enfants poursuivis par un gendarme bienveillant, un suisse insolite tout juste arrivé en avion, en short, et dépourvu de passeport, un pêcheur de crevettes...). Les portraits esquissés sont souvent drôles, les êtres captent l’intérêt, nous sommes bien immergés dans le mouvement de cette ville.

Fil conducteur de ce tableau d’Alger, les déambulations d’un couple de touristes français. Lui (Simon) a fait la guerre et méprise les algériens (sur des images où ces derniers s’échinent sur des chantiers, le Français explique à sa femme qu’ils sont des fainéants, que tout ce qu’ils savent, ils le doivent aux Français). Elle, émerveillée, est le porte-parole de tous les clichés (elle écrit sur une carte postale combien les enfants sont mignons, la nourriture délicieuse...). Mais la magie du voyage est soudainement rompue, lorsque Simon reconnaît en un homme aveugle l’un de ceux qu’il a torturés pendant la guerre. Tahia Ya Didou date de 1971, et l’on sent des plaies encore ouvertes. Les gens semblent avoir besoin d’évoquer l’occupation et la guerre d’indépendance, ces souvenirs font encore partie de leur quotidien. Capture du temps présent reconvoquant le passé, Tahia Ya Didou est aussi empreint d’une dimension intemporelle, véhiculée par les apparitions récurrentes du poète illuminé Momo. Ses paroles, hymnes à Alger, ne sont pas sous titrées au moment même où il les prononce mais répétées juste après, en français. Nous avons ainsi le loisir de nous imprégner des sonorités de la langue arabe dont on ne comprend pas le sens.

Mêlant avec aisance l’approche documentaire et fictionnelle, la comédie et la tragédie, Mohammed Zinet a donné vie à un film atypique, très vivant, dans lequel on se délecte d’être immergé. Il est ainsi extrêmement regrettable que le négatif de cet opus ait été perdu.

Extrait de Critikathttp://www.critikat.com/Tahia-Ya-Di...